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Le rêve de l’impossible retour en arrière

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J’ai aimé, comme beaucoup, chanter La Montagne de Jean Ferrat. Et on me la réclamait dans les fêtes entre amis. Je l’écoute toujours avec plaisir, mais en me faisant deux ou trois réflexions : cette nostalgie d’une ruralité heureuse renvoie-t-elle à autre chose qu’au bonheur d’être enfant dans un cocon familial chaleureux ou à l’ardeur d’un jeune homme de 20 ans qui mord la vie à pleines dents ? N’est-ce pas l’air entêtant de l’impossible retour en arrière ?


jean FERRAT La montagne par christophe30130

En pleine fureur yé-yé, Jean Ferrat s’engage à contre-courant pour dénoncer la désertion des campagnes, la perte des valeurs de la ruralité : on produit du vin que personne ne peut boire, on se taille un morceau de tomme de chèvre, on danse la bourrée ; mais rien de ce mode de vie ne peut plus retenir les jeunes qui aspirent à des logements plus confortables, à des loisirs moins répétitifs. Eh oui, les HLM si décriés font rêver : une salle de bain, des toilettes, une chambre à soi au lieu de la cabane au fond du jardin et de la promiscuité de la pièce unique. Le poulet est peut-être aux hormones, mais on peut se le payer tous les dimanches.

A moi, on ne fera pas le coup de « c’était mieux avant » : avez-vous goûté la « soupe de lard » ? êtes-vous allé jusqu’à la fontaine du village avec vos deux seaux calés contre un cercle de barrique ? avez-vous trait les vaches à la main dans une étable dont la litière était faite de lande étrepée ? avez-vous passé une journée à repiquer des choux avec une « tranche » ?

Pas de misérabilisme pourtant, j’ai vécu une enfance heureuse. Mais la transformation du monde rural, sous l’influence de la génération « JAC » a permis la libération des hommes et des femmes des contraintes séculaires : rien ou presque n’avait changé depuis le XIXème siècle et même bien des pratiques remontaient encore plus loin. Sur ce sujet, il faut lire le livre de Louis Malassis : La Longue Marche des paysans français. Il montre comment en développant les cultures et les élevages de « rente », les paysans ont pu par exemple équiper la maison de l’eau courante qui a permis la machine à laver !

Oui la chanson de Jean Ferrat est belle, mais elle est mystifiante. Elle nous fait croire qu’il y avait un avant merveilleux, sans nuage... Et pourtant, Jean Ferrat se disait – était sans aucun doute – un homme de progrès, proche des communistes.

Ravage, la catastrophe et son dépassement en marche arrière

J’ai fait lire et étudier, comme beaucoup de mes collègues, le roman de Barjavel Ravage. Ce roman d’anticipation, plutôt que de science-fiction, faisait partie des ouvrages « modernes » que l’Education Nationale tolérait ou suggérait pour les grands du collège ou les élèves de seconde au lycée. Cela raconte une catastrophe et son dépassement... en marche arrière ! Dans une société d’abondance et de gaspillage, l’électricité, énergie souveraine, qui permet aux humains de ne plus rien faire ou presque, disparaît tout à coup : plus de lumière, plus de transports, plus d’eau dans les robinets, plus de radio... Très vite, la société se délite et la loi de la jungle règne sur la cité.

Le héros, François Deschamps, jeune étudiant chimiste d’origine paysanne, décide de quitter la ville qui sombre dans la violence et le crime. Il veut d’abord sauver son amie d’enfance, Blanche Rouget qui pourtant s’est détournée de lui pour se fiancer au richissime Jérôme Seita. A la tête d’un petit groupe de compagnons, François décide de revenir au village pour reprendre une vie saine. Passons sur les péripéties du voyage qui ramène la troupe à la campagne où, sous l’autorité de François Deschamps, ils font fonder une société patriarcale, basée sur l’obéissance au chef qui sélectionne celles qui assureront dignement sa descendance. Mais le jour où il doit passer le pouvoir à celui qu’il a désigné comme successeur, voilà que surgit un homme qui veut offrir au patriarche une machine destinée à les soulager tous de la peine du labour. Le patriarche fait détruire cette machine qui lui rappelle la société qu’il a fuie et exécuter l’inventeur sacrilège...

Voilà ce qu’on faisait lire aux élèves, un roman publié en 1943 du temps de Pétain, qui vante les thématiques chères au Maréchal : le retour à la terre, contre la perversion urbaine, la société patriarcale (Travail Famille Patrie). Jusqu’aux noms des personnages qui se veulent significatifs : François Deschamps (bien sûr, la terre ne ment pas), Blanche Rouget (elle a trahi sa blancheur pour être rouge !) et son amant Jérôme Seita : à eux deux, ils peuvent représenter le danger judéo-communiste !
Le message était clair : refusons le machinisme, la modernité, le changement, et retournons en arrière, le plus loin possible, et pourquoi pas jusqu’à la horde primitive, soumise au mâle dominant ?

Un Prométhée retourné

Plus récemment, nous avons appuyé à la Communauté de Communes, malgré mes réticences, le projet d’animation culturelle de Zarina Khan, autour d’un spectacle intitulé Prométhée ou la promesse du feu. Le Prométhée des Grecs est celui qui apporte aux hommes le feu, la métallurgie, des savoirs et des secrets réservés aux Dieux. Mais par un renversement étonnant du mythe, le Prométhée devient un prophète du malheur généré par l’action de l’homme sur la mère nature. Le tout enveloppé dans un discours un peu gnangnan et dans une pratique manipulatrice proche des méthodes sectaires. Le message central était clair : revenons au bon vieux temps. Mais il n’y a pas de bon vieux temps.

Oser le choix de l’avenir : Pourquoi j’ai mangé mon père

Il n’y a pas de bon vieux temps, le présent est le fruit du passé et il porte en germe le monde que nous devons construire. Le petit livre de l’Anglais Roy Lewis Pourquoi j’ai mangé mon père, met en scène les débats de notre époque, la technique, le progrès, l’éducation, la place des femmes en situant son récit dans la préhistoire. S’il y a un bon vieux temps, c’est bien celui-là, n’est-ce pas ? Mais le grand débat du roman est celui qui oppose les réactionnaires et les progressistes : l’oncle Vania est toujours réticent face aux inventions de son frère Ernest ; il veut lui aussi revenir au bon vieux temps... où les hommes n’étaient encore que des singes : « Retournons dans les arbres » est son cri de guerre, mais cela ne l’empêche pas de s’approcher du foyer qui réchauffe et de se gaver des viandes grillées grâce au feu domestiqué par son frère.

Deux citations pour conclure. La première, sérieuse, du philosophe Gaston Berger : Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. L’autre, pour sourire, du cinéaste Woody Allen : L’avenir est la seule chose qui m’intéresse, car je compte bien y passer les prochaines années.

Publié le vendredi 24 août 2012, par Paul Paboeuf.

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