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Résultats 1er tour Régionales à Questembert

9 mai 2010, 18:15, par Claude

Pour continuer le débat après la visite de M. Lebahy !!

L’enjeu des paysages et de l’aménagement en Bretagne : texte de l’interview du Directeur de la Conférence des Villes par la revue Bretagne(s) Jacques Lescoat.
Bretagne(s) : Notre région se trouve actuellement dans une période charnière en ce qui concerne des paysages. Un clivage se crée entre les partisans d’un paysage conservé, voire du retour à un paysage révolu, célébré par les cartes postales d’autrefois, et ceux qui considèrent que les évolutions actuelles impliquent une transformation inévitable des paysages…
J.Lescoat : Les paysages ne peuvent en aucun cas être figés. Ils sont en perpétuelle évolution, cette évolution étant essentiellement due à l’œuvre humaine. Une sanctuarisation des paysages en tant que telle, globalement, n’est pas possible. Plutôt que de paysages, il faudrait parler d’aménagement. Les paysages en effet sont les résultantes de l’aménagement et l’empreinte humaine est très forte. Aujourd’hui la Bretagne devient une des régions les plus attractives de l’hexagone. Il est prévu ainsi, d’ici 2020, que 600 000 personnes supplémentaires s’ajouteront à la population actuelle… Il va falloir intégrer cet essor dans le cadre d’un aménagement bien conduit et un respect des paysages et de ce qui fait l’identité visuelle de notre péninsule.
L’évolution des paysages touche ainsi la totalité des terres de Bretagne. Nous avons assisté à une évolution considérable des paysages ruraux avec notamment de vastes opérations de remembrement qui ne sont d’ailleurs pas encore achevées. Les paysages urbains aussi ont connu de grandes transformations. Il ne s’agit pas uniquement d’habitat : les services, les routes, les zones d’activité ont contribué à ces évolutions souvent majeures. Plus que jamais, la Bretagne est soumise à des actions très fortes d’aménagement qui aboutissent à des modifications importantes de ses paysages. Il est un fait que le bocage breton d’il y a cinquante ans était, du point de vue du coup d’œil, admirable mais il n’était plus tenable. Pour autant sa disparition ou une trop forte atténuation de sa présence seraient perçues comme une mutilation.
Aussi bien pour les espaces ruraux que littoraux ou urbains, l’impératif est de trouver un équilibre. Cet équilibre, il faut s’efforcer sans arrêt d’y parvenir mais il doit être avant tout tiré vers le haut, c’est à dire être qualitatif. Concernant les paysages, la Bretagne doit donc réussir à mener une évolution de haute tenue. Il faudrait qu’elle puisse être considérée un jour comme un modèle par la qualité de son aménagement. La sanctuarisation peut être une solution que pour certains sites extrêmement précieux et fragiles, notamment littoraux, pour lesquels il n’y a pas d’autre solution que de les préserver en l’état.
D’une façon générale, les paysages ont certes une valeur esthétique mais il ont avant tout une valeur humaine (le cadre de vie) et une valeur économique (la Bretagne, terre de qualité, terre attractive…)

Bretagne(s) : Peut-on agir sur tous les paysages de la même manière ?
J.Lescoat : Non. Concernant les villes, il y a des actions majeures à mener en faveur du paysage urbain. Il s’agit d’abord de veiller à maintenir la population résidente et embellir les centres des villes. Leur préservation et leur remise en valeur peuvent se faire par des opérations de ravalement, de réhabilitation, de rénovation, de transformation des espaces publics… Mais il faut cependant éviter, dans leur centre, la muséification des villes, des bourgs et des villages en y maintenant services et populations. Nous avons ainsi, au-delà des centres, beaucoup à travailler avant l’extension périphérique, sur la ville et le bourg tels qu’ils existent aujourd’hui : utilisation des friches, des « dents creuses » et bien sûr réhabilitation de l’habitat... Certains éléments modernes bien intégrés peuvent aussi sans problème valoriser un tissu urbain ancien ou historique. Une modification des espaces de circulation (zones piétonnes, aménagements autour des transports en commun) peut métamorphoser une ville qui peut reconquérir son espace propre. C’est l’agglomération qui se refait sur elle-même, s’économise, se requalifie…
Mais il y a également la ville ou le bourg qui s’étendent. Il va falloir qu’en Bretagne nous soyons beaucoup plus attentifs à l’économie d’espace et à la qualité des espaces en périphérie des villes. Il faut savoir greffer toute extension nouvelle : il faut ainsi que la transition soit naturelle, douce, et très respectueuse de la campagne. Jusqu’alors, on avait tendance à construire sur des parcelles beaucoup trop grandes. Les aménagements faits par exemple dans les pays plus nordiques correspondent à un urbanisme plus resserré bénéficiant de surcroît d’une architecture de qualité (individuel plus dense, maisons de villes, petits collectifs…). Un nouvel art de construire ! Cet urbanisme est non seulement plus économe d’espace mais aussi plus agréable à vivre. Il permet aussi d’établir un bon équilibre entre la ville et la campagne. Il faut en effet, rappelons-le, être très attentif aux limites de la ville et du bourg et, en évitant les mélanges trop communs chez nous, savoir jouer sur les contrastes.

Bretagne(s) : Que penser des zones d’activités ?
J.Lescoat : Nous avons aussi été longtemps très mauvais quant à l’installation des zones d’activité : des espaces « bâclés », sans unité architecturale, sans plan vert, des espaces plus que banalisés. On ne peut plus tolérer de tels délabrements pour le futur de la Bretagne. Il faut dorénavant éviter de placer les zones d’activité (ZA) à l’entrée de nos agglomérations et il nécessaire que ces espaces soient aménagés avec les mêmes exigences qualitatives que les zones d’habitation. L’intégration des zones d’activité est un point crucial dans le devenir des paysages bretons. C’est tout à fait possible de les implanter également ailleurs que le long de nos routes et de nos voies express. Nous devons les aménager dans le vif souci d’une unité architecturale et paysagère. Aujourd’hui, c’est un outrage à notre région que d’avoir fait n’importe quoi dans ce domaine. A titre d’illustration, sait-on que depuis l’entrée de la Bretagne jusqu’à la Côte de granit rose, on compte près de 40 zones d’activité, toutes aussi laides les unes que les autres (marchands de caravanes, entrepôts mal soignés, ventes de matériaux, espaces commerciaux banalisés…) ?
En Allemagne, et ce n’est qu’un exemple, il interdit de placer les ZA le long des routes et autoroutes et l’on s’efforce d’éviter les entrées d’agglomération. Puisque chez nous, cela est hélas possible, il faut au moins faire des zones belles et attractives comme heureusement mais trop rarement, il peut en exister : ainsi à Guer la ZA du Val Coric est un modèle. Elle a été portée techniquement par un ingénieur de la DDE très impliqué qui a voulu de la qualité à tous les niveaux (plan vert, unité et qualité architecturales…) et a réussi à convaincre les élus de le suivre dans cette voie. Et cette réussite est économiquement très porteuse : tout est lié ! Chaque agglomération, quelle que soit sa dimension devrait s’engager dans cette direction…

Bretagne(s) : Qu’en est-il des paysages ruraux ?
J.Lescoat : Rappelons tout d’abord la nécessité pour l’urbanisation nouvelle, à bien greffer sur le bourg et la ville existants, de consommer l’espace rural avec une très grande parcimonie : il est non seulement possible mais nécessaire de réduire fortement la consommation d’espace. Il y là aussi de bons exemples telle la ville de Mordelles qui n’a utilisé pour sa forte expansion que l’étendue d’une exploitation agricole là où l’on consommait habituellement trois ! Et quel urbanisme qualitatif et exemplaire !
Concernant la campagne proprement dite, j’ai évoqué les grands dommages de certains travaux connexes au remembrement auxquels on pourrait ajouter l’érosion, l’accélération de l’écoulement de l’eau. On ne peut certes pas sanctuariser les paysages, mais nous avons été trop peu soucieux de la qualité paysagère et de leur vive valeur tout autant sur le plan de la qualité que sur celui de l’économie. La Bretagne doit donc conserver une forte identité bocagère dans le cadre d’une économie agricole à réorienter : chacun connaît les exigences qui ne sont pas seulement écologiques mais aussi économiques. Cela doit également s’accompagner de la fin du mitage : on ne doit plus accepter la construction de maisons égarées à la campagne comme cela a été fait massivement et se poursuit encore même sous une forme atténuée. Les nouvelles implantations doivent se greffer sur les hameaux existants. L’habitat rural existant a aussi été souvent très mal restauré et il faut pour cela faire confiance à des associations telles Tiez Breizh. L’autre point qui me fait un peu honte, c’est la création des bâtiments agricoles (poulaillers industriels, porcheries...) que nous avons laissés souvent se créer n’importe où dans une « conception architecturale » et un usage de matériaux (ciment…) déplorables. Si on regarde les exemples des pays voisins, on voit par exemple qu’en Bavière tous les bâtiments agricoles sont intégrés avec un soin particulier : ils sont souvent en bois, matériau chaleureux et recyclable, alors que chez nous beaucoup de bâtiments sont même amiantés.
Il va falloir reconquérir peu à peu ces espaces perdus et apporter une qualité nouvelle à ces paysages. Il y a de très beaux exemples d’espaces ruraux préservés ou reconquis : l’activité liée à l’agriculture et au tourisme vert est prospère grâce notamment à cette qualité…

Bretagne(s) : Que se passe-t-il pour le littoral ?
J.Lescoat : Nous avons subi ce triste mitage avec une extension inconsidérée et souvent informe de l’habitat le long du littoral. Aujourd’hui, 80 à 85 % du littoral breton est urbanisé, soit sous une forme dense comme c’est le cas autour de villes portuaires ou balnéaires, soit sous une forme dilatée comme nous avons indiqué plus haut et qui était une forme pernicieuse et très médiocre « d’aménagement ». L’espace littoral encore vierge (et donc très réduit) doit ainsi absolument le rester. Si on doit parler de sanctuarisation, c’est là qu’on doit l’imposer. Ces espaces libres de constructions et à l’état naturel seront, comme c’est heureusement très souvent le cas, livrés pour toujours aux randonneurs par l’aménagement et l’entretien de simples chemins. C’est, au-delà de la ligne littorale et autour des hameaux ou auprès des ports, que seront greffées les nouvelles constructions.
Mais il faut aussi engager des opérations de reconquête sur ces parties du littoral breton touchées par une urbanisation dispersée et très peu dense mais suffisante pour casser l’apparence naturelle de ce littoral. On peut ainsi intervenir par une action de long terme en profitant de ces maisons à vendre et qui, trop isolées n’auraient jamais dû être construites : un véritable travail de reconquête et de repaysagement qui peut concerner 15% de notre linéaire côtier. A ajouter au 15% déjà préservés : voilà qui laissera un jour, fût-il encore lointain, vraiment respirer un des plus beaux littoraux européens !
Car il faut que la Bretagne considère enfin ses paysages comme une valeur essentielle pour son équilibre et son futur. C’est dans ce cadre qu’a été proposée notamment la création d’un institut du paysage pour développer en Bretagne une culture du paysage et de l’aménagement de très haut niveau, comme cela existe dans d’autres pays ou d’autres régions... ainsi la Toscane. Grâce à cette démarche, la Bretagne, alors belle pour toujours, pourrait favoriser et intégrer son développement sans crainte et avec succès.

Bretagne(s) : Quels sont les obstacles à la mise en place de telles politiques ?
J.Lescoat : On a encore tendance aujourd’hui à laisser les gens faire parfois n’importe quoi alors qu’ils sont prêts à accepter de telles exigences de qualité du moment qu’un réel travail de pédagogie est conduit. Par ailleurs, il se trouve que la France est constituée d’une multitude de communes, chacune possédant un énorme pouvoir pour son aménagement mais sans avoir forcément les compétences et les moyens nécessaires à bonne gestion de l’urbanisme local. Les améliorations seraient considérables si chaque communauté de communes se dotait d’un service d’urbanisme suffisant pour accompagner les élus dans leurs démarches d’aménagement. Il nous manque en Bretagne cet échelon technique de conseil. On ne peut plus travailler chacun dans son coin alors qu’il faut reconnaître, devant la multitude des dommages, que les paysages, l’urbanisme et l’aménagement ont tout à gagner en plaçant les moyens au niveau communautaire tout en veillant bien à respecter et à valoriser les identités locales.

Bretagne(s) : Ne faudrait-il pas envisager aussi des outils contraignants, comme c’est le cas pour la loi littoral pour les zones côtières ?
J.Lescoat : Nous avons certes la loi littoral et le Conservatoire du littoral mais il existe, au-delà de ces outils pour revenir sur la question littorale si importante en Bretagne, un réel problème politique lié à l’absence de prise de conscience de tout un pays de la valeur de son littoral. Le budget annuel du Conservatoire du littoral est égal à celui correspondant à 3 km d’autoroute (actuellement on en construit encore 250 par an) ! Il faudrait que son budget soit multiplié par 5 pour que son action soit vraiment efficace (protection mais aussi reconquête). Tant qu’il sera obligé de fonctionner au cas par cas et selon les seules opportunités foncières et sans pouvoir établir un plan d’action global et sur le long terme, son impact sera malheureusement limité.
La Toscane déjà citée, est sur ces questions, une région très en pointe en Europe. Elle fait de ses paysages une valeur essentielle à la fois pour son cadre de vie et sa propre promotion. Un énorme travail de communication a été fait auprès du grand public qui aujourd’hui adhère pleinement à l’enjeu que représente la qualité des paysages. En Bretagne, c’est véritablement et uniquement le chemin à suivre même si nous en sommes encore bien loin ! Je crois beaucoup sur ce point à une impulsion de la Région Bretagne, qui ne s’est pas assez investie sur ce thème essentiel pourtant.
Aucun point de notre territoire ne doit être livré au n’importe quoi ou à l’à peu près en pensant que cela n’a pas trop d’importance. Ce qui fera une valeur forte de la Bretagne d’aujourd’hui et de demain, y compris sur le plan économique, ce sera la qualité de son aménagement et la force de ses paysages. Quand on parle de développement durable, on oublie souvent d’y intégrer l’aménagement durable or cette composante est absolument incontournable pour l’avenir.
Il nous faudra beaucoup de temps, d’énergie et d’intelligence, d’utopie et d’orgueil, mais, chiche, faisons de cette péninsule verte et bleue et de ces multiples pays de Bretagne, la plus belle terre du monde !

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