L’Union européenne dépense peu d’argent. Bon an mal an, elle paie environ
110 milliards € soit 1% de toute la richesse produite dans les pays qui la composent. Tous les sept ans, les chefs d’Etat et de Gouvernement fixent une somme à ne pas dépasser. Jusqu’au 31 décembre 2006, ce montant ne peut pas aller au-delà de 1,24% du produit national brut et il n’est même pas atteint.
Voir en ligne : Le site de Bernard Poignant
Le Parlement n’a pas son mot à dire sur les recettes. Elles sont ce qu’en décident les gouvernements. C’est une particularité de cette assemblée, unique dans les pays démocratiques. Il se prononce sur les dépenses seulement. Mais, certaines s’imposent à lui et sont dites obligatoires. C’est le cas de la grande majorité des crédits pour l’agriculture. S’il fallait comparer l’Union européenne à une de nos structures connues en France, elle se rapprocherait plus d’un syndicat intercommunal que d’une Communauté de Communes. Le premier reçoit les dotations des communes qui le composent ; la seconde vote le taux des taxes locales. Le projet de Constitution modifiait cela dans un sens positif pour le Parlement. Il devenait législateur complet pour les dépenses. J’espère que nous aurons la sagesse de reprendre ce progrès démocratique.
Cette dépense est concentrée sur deux postes essentiels : les subventions aux agriculteurs et aux régions d’Europe. Chaque pays regarde évidemment de près ce qu’il donne et ce qu’il reçoit. La France verse beaucoup mais perçoit beaucoup. Si on fait le calcul, sur les trois dernières années, elle n’a transféré à l’Union européenne que 2 milliards € en moyenne annuelle, soit 0,14% de sa production intérieure brute. C’est peu. Par comparaison, la contribution nette de l’Allemagne, différence entre versements et encaissements, aura été de 55 milliards € sur 7 ans. Quand on sait qu’elle doit chaque année consacrer 70 à 80 milliards pour les Landers de l’Est, on comprend qu’elle soit un peu essoufflée. La contribution nette des Pays-Bas représente 0,5% de son produit intérieur brut : avec le rejet de l’immigration, c’est l’autre raison de son vote négatif pour la Constitution.
Cette courte description explique les tensions qui renaissent pour fixer les recettes pour la période du 1 er janvier 2007 au 31 décembre 2013. L’Allemagne ne veut pas payer plus et plutôt moins. L’Angleterre ne veut rien lâcher du rabais qui lui a été consenti en 1984 parce qu’elle payait beaucoup et ne touchait pas. L’Espagne voudrait bien garder l’argent pour ses provinces autonomes car elle est la première bénéficiaire des fonds de solidarité entre les régions. La France veut limiter la casse pour les crédits à l’agriculture. Les nouveaux Etats membres demandent à être traités comme les adhérents d’autrefois. Le 18 juin, un sommet s’est tenu à Bruxelles pour trouver un compromis. Il a échoué, sans doute à cause de l’intransigeance de Tony Blair. Il est urgent d’aboutir avant la fin de l’année : pas de Constitution, pas de budget, c’est désespérant pour beaucoup de citoyens européens.
La France devra avoir une position assouplie pour prendre sa part au compromis. On ne peut pas à la fois se cramponner aux crédits agricoles, demander le financement de politiques nouvelles comme la recherche et l’innovation, plaider pour de nouveaux élargissements vers d’autres pays et vouloir payer moins. Plus d’Europe et moins d’argent : un des deux termes est en contradiction avec l’autre.
Nous devrions saisir ce moment pour repenser le financement de l’Union européenne. Tout bâtir sur une discussion de marchands de tapis entre Etats rencontre ses limites. A 10 ou 12, la méthode pouvait convenir. A 25 et bientôt 27, c’est intenable. L’Europe est un marché unique. 12 de ses membres ont une monnaie unique. La fiscalité liée au droit de la concurrence a des formes d’harmonisation : la TVA depuis longtemps avec ses taux encadrés, l’épargne dans certaines limites depuis le 1 er juillet 2005. Logiquement, l’impôt sur les sociétés devrait voir son assiette harmonisée et ses taux se rapprocher. Dans ce cas, c’est lui, pour une partie, qui devrait alimenter les caisses de l’Union. On en est loin mais il arrive que le bon sens finisse par l’emporter.
Notre méthode rappelle le compromis de 1867 signé par les RoyaumeS d’Autriche et de Hongrie au sein de l’Empire du même nom. Le budget était financé par les droits de douane aux frontières et par des contributions nationales. Il devait être équilibré et l’endettement était interdit. Le système a rendu impossible le financement durable de politiques communes et les deux royaumes ont divergé dans leur évolution. En revanche, le Parlement de l’Empire, dans l’Allemagne d’avant 1870, a obtenu le droit de voter des taxes fédérales puis des impôts sur les revenus des personnes. L’unité en a été renforcée.
De tout cela, il y a une leçon à tirer. Quand notre Union manque de projet fédérateur et mobilisateur, quand elle est trop centrée sur les questions économiques, commerciales et monétaires, les intérêts de chaque Etat l’emportent sur l’intérêt de l’ensemble. Nous vivons une période de flottement, de panne diront certains, de régression craignent quelques uns. Il n’y a pas d’autre avenir que la vie ensemble. Qu’au moins on se mette d’accord sur le porte-monnaie.
Publié le dimanche 6 novembre 2005, par .