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Abolir les privilèges

Les cheminots ou les protégés du bouclier fiscal ?

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Il paraît qu’il faut mettre à plat les avantages des cheminots, des gaziers, des électriciens... Mais pourquoi ne pas parler de ceux qui bénéficient des stock-options, des parachutes dorés, et de la douce protection du bouclier fiscal ?

Voir en ligne : Le mauvais exemple

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Le mauvais exemple

A l’ancienne morale bourgeoise a succédé le règne d’une bourgeoisie sans morale

Réagissant à une récente chronique sur ce que Yann Algan et Pierre Cahuc appellent « la Société de défiance » (1), plusieurs lecteurs me font observer que si la culture française est marquée par l’incivisme et la méfiance, il n’y a pas seulement lieu de le déplorer : il faut aussi se demander à qui la faute. Bonne question. Les racines du phénomène plongent sans doute, comme le montre ce livre, dans l’alliage d’étatisme et de corporatisme qui caractérise les relations sociales à la française. Mais il n’y a pas que cela.

Si ce climat de suspicion généralisée envers les « élites » prospère et se renforce, cela tient aussi à des raisons plus circonstancielles. J’en vois au moins trois.

L’incapacité persistante de la France, malgré vingt-cinq ans d’alternances à répétition, à résoudre ses problèmes essentiels : chômage de masse, inégalités, déficits publics. D’où un désenchantement politique croissant, qui nourrit la rhétorique anti-« système ».

Le sentiment, si répandu dans les classes moyennes et les milieux populaires, que l’ascenseur social est bloqué. Sentiment largement validé par les observations des sociologues sur l’endogamie des milieux dirigeants (mesurée par le recrutement des grandes écoles) et le morcellement de la société française en « ghettos » (Eric Maurin). D’une société de classes, nous glissons insensiblement vers une société de castes.

J’ajouterai l’incivisme et l’égoïsme au plus haut niveau. Comment les salariés auraient-ils confiance dans le dialogue social^ quand ils apprennent que l’UIMM (héritière du Comité des Forges) a constitué une caisse noire de 600 millions d’euros, à la disposition de celui qui était chargé de négocier la réforme du contrat de travail ? Comment les petits actionnaires d’EADS qui ont vu fondre leurs économies auraient-ils confiance en la Bourse, quand ils découvrent que les gros porteurs ont vendu avant la baisse, et encaissé au passage des plus-values astronomiques ? Comment la France qui se lève tôt aurait-elle confiance dans les vertus de l’entreprise, quand elle réalise que, tandis qu’on invoque la concurrence pour « dégraisser » les effectifs, une poignée de grands patrons se « goinfrent » (Patrick Bonazza) de stock-options et autres parachutes en or ? En ce pays de tradition colbertiste, la nouvelle aristocratie d’affaires s’est jetée dans la mondialisation libérale comme les abbés de la Régence dans la débauche. A l’ancienne morale bourgeoise a succédé le règne d’une bourgeoisie sans morale, qui pratique pour elle-même cette politique du chacun pour soi qu’elle est si prompte à dénoncer chez les autres. Ce qui nous ramène au conflit social en cours.

La réforme des régimes spéciaux de retraite est sans doute une nécessité économique et démographique. C’est aussi une mesure d’équité. La majorité des Français le savent. Et beaucoup de cheminots aussi. Mais quand celui qui les invite à se sacrifier pour le bien commun s’affiche complaisamment avec ses amis milliardaires, promet de dépénaliser le droit des affaires et n’a rien eu de plus urgent, sitôt élu, que d’instaurer un bouclier fiscal pour les plus fortunés, étonnez-vous que cheminots, gaziers et électriciens s’indignent d’être désignés comme des privilégiés. Et rétorquent à ceux qui, d’en haut, appellent à une nouvelle nuit du 4-Août : chiche, et si on commençait par vous !

(1)Editions ENS-Rue d’Ulm. Voir le « N. 0. » du 4 octobre.

Claude Weill
Le Nouvel Observateur

Publié le samedi 27 octobre 2007, par Opticon.

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