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18 septembre 1981 : la justice ne tuera plus en mon nom

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Mon aversion de la peine de mort remonte à mon adolescence lorsqu’au début des années 60 j’ai pu suivre le cas Caryl Chessman. Jeune adulte, je ne pouvais admettre que la justice tue en mon nom. Il m’a fallu attendre le 18 septembre 1981, il y a 30 ans, pour que ce combat aboutisse.
Je serai toujours redevable au Président François Mitterrand d’avoir eu ce courage politique. Car l’abolition de la peine de mort n’était pas dans l’air du temps des années 70, loin s’en faut.
Le chemin a été long en France et ailleurs, pas seulement dans des dictatures barbares, il est toujours d’actualité.

Le contexte

Le 17 septembre 1981, alors qu’il monte à la tribune de l’Assemblée nationale à quoi pense Robert Badinter ? Lui qui, depuis des mois, depuis le procès de Patrick Henry, a reçu injures, parfois racistes, menaces sur sa vie, la vie de son épouse et de ses enfants.
Peut être pense-t-il que depuis le moyen âge le chemin a été tortueux, semé d’embûches.
Les échecs de Condorcet, Hugo, Schœlcher, Jaurès … hantent-ils son esprit ? Sans doute pense t-il à Bontemps, exécuté alors qu’il n’avait pas de sang sur les mains. Il sait que depuis des millénaires les sociétés humaines, sur quelque partie du monde que ce soit, ont éliminé par la mort, ceux qui avaient gravement enfreint les lois du groupe.

Un peu d’histoire

Les recherches les plus sérieuses font remonter à la Préhistoire l’origine des exécutions. Ce sont les philosophes du « Siècle des Lumières  » qui les premiers vont contester la mise à mort. Soumise à la critique de la seule raison, fondement de l’action des philosophes, elle ne pouvait que soulever l’indignation. C’est à la Révolution de 1789 et plus particulièrement au projet de Code pénal de l’Assemblée Constituante que l’on doit le véritable 1er projet d’abolition. Le rapporteur du projet plaide pour l’abolition, au nom de l’inefficacité de la peine de mort. En 1793, la tentative de Condorcet d’abolition pour tous les délits privés échoua. Durant cette période, la torture fut abolie et Le Consulat instaura le droit de grâce. Les révolutions de 1830 & 1848 apportèrent les circonstances atténuantes. Durant cette période, Lamartine, Hugo et Lamennais sont les plus fervents abolitionnistes. Selon Hugo, « La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie » ; il stigmatisa les prétentions de l’homme à s’attribuer les prérogatives pour prononcer une peine « irrévocable, irréparable et indissoluble ». Selon les abolitionnistes la justice est faillible, le criminel est amendable et une transformation radicale de son âme n’est jamais exclue. Le début de la 3ème République est fortement marqué par la pensée de transformation de la société de Victor Schœlcher (l’abolitionniste de l’esclavage), Saint-Simon, Fourier, Proudhon : le crime n’est pas la conséquence de la perversité des êtres, mais de l’injustice de leurs conditions de vie. Ils soutiennent que la condition faite au prolétariat est la véritable origine de la plupart des crimes et que dès lors, la punition est injuste puisque la société punit chez autrui ce dont elle porte en réalité l’essentiel de la responsabilité. Au début de la 3ème République, les abolitionnistes, Briand, Jaurès, l’abbé Lemire, …, tentèrent de supprimer les crédits affectés à l’indemnité du bourreau et aux frais des exécutions capitales. Si de nombreux cas d’application de la peine de mort prévus sous le régime de Vichy furent supprimés à la Libération, d’autres furent cependant ajoutés. Il fallut attendre la 5ème République et la fin des guerres coloniales pour que le débat soit relancé en 1962 par le dépôt d’une proposition de loi. D’autres propositions en 1966, en 1973 échouèrent mais redonnèrent une impulsion. En 1978 un texte signé par Bas, Séguin (R.P.R.), Chénard, Frêche (PS), Stasi, Zeller (U.D.F) aboutit à un vote positif de la commission des Lois mais se heurta au manque de courage politique du Gouvernement. Dés lors, les abolitionnistes de tous bords politiques harcelèrent le Gouvernement en déposant des amendements ayant pour objet de supprimer les frais des exécutions capitales. Celui-ci demandant systématiquement un vote bloqué pour faire échec aux amendements. Tous ces débats ont d’une part suscité des occasions de discuter de l’abolition et d’autre part ont montré qu’il fallait mettre un terme à une situation devenue de plus en plus ambiguë et intolérable.

Désormais la justice ne tuera plus

C’est lorsque François Mitterrand a déposé une rose sur la tombe de Schœlcher que j’ai réalisé que le temps de la rouille était arrivé pour la guillotine. En France, désormais la justice ne tuerait plus.
Le projet de loi déposé par le ministre de la Justice, approuvé le 26 août 1981 par le Conseil des Ministres, tenait en une phrase « La peine de mort est abolie ». Cette phrase lapidaire, acte de foi en l’homme, mettait un terme à une longue marche semée d’embûches, d’approximations, d’hésitations et d’hypocrisie. Pour la 1ère fois en France, un Président de la République fit triompher sa conviction personnelle contre une opinion encore en majorité hostile à l’abolition.

C’est l’exécution de Bontemps, témoin passif d’un double meurtre dans la prison de Clairvaux, qui fera de Robert Badinter un abolitionniste acharné. Il n’oubliera jamais l’horreur de l’aube humide et froide dans la prison, cet instant où, avec une poignée de témoins, il assiste à la mort de celui qu’il n’a pu sauver. « Le crime avait physiquement changé de camp. » écrivit-il dans son livre « L’Exécution ».

La position de Maître Philippe Lemaire résume celle des abolitionnistes : « La justice est humaine, changeante, susceptible d’erreurs. Comment, dans ces conditions peut-on infliger une peine irréversible ? » Lors des séances à l’Assemblée, Robert Badinter repris les mêmes arguments que Victor Hugo : « Une société de liberté peut-elle admettre que les hommes détiennent un pouvoir absolu de vie ou de mort sur autrui ? La mort du coupable compense-t-elle la mort de la victime ? A ces questions, parmi d’autres notre société ne peut répondre que par l’abolition. La justice ne peut être une justice qui tue ».

Robert Badinter dans son plaidoyer pour l’abolition a rappelé que les crimes les plus atroces sont généralement commis par des hommes emportés par une pulsion de violence et leur passion criminelle n’est pas arrêtée par la mort. La signification politique de cette peine procède de l’idée qu’il peut exister pour un Etat un droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie.

Toujours selon le Ministre de la Justice, la peine de mort ne doit pas être considérée comme un sacrifice expiatoire, la mort, la souffrance des victimes exigeant en contrepartie une autre mort.
Lors de sa conclusion Robert Badinter, s’appuyant sur les statistiques, évoquait les incertitudes, le risque de racisme inavoué et les contradictions qui font qu’aucune justice n’est absolument infaillible et que de ce fait, la peine de mort est moralement inacceptable.

Ce 18 septembre, chaque député est face à sa conscience. L’abolition de la peine de mort sera adoptée par 363 voix contre 117 et 6 Abstentions. Si les députés de gauche votèrent massivement pour l’abolition il faut signaler que 31 Députés RPR ou UDF en firent autant dont messieurs Barnier, Chirac, Fillon, Méhaignerie et Toubon. La loi fut promulguée le 9 octobre 1981. La raison a enfin triomphé, la cause de l’humanisme est consacrée.

La vie de chaque homme a une valeur incommensurable, et il ne faut pas nier aux criminels la possibilité de se racheter. Aucune société ne se construit solidement sur l’imitation de la violence du coupable, la continuation de la spirale de la haine.

La réhabilitation, la foi en l’homme est une manière de surmonter et de dépasser la volonté de vengeance. C’est plus difficile, plus exigeant mais plus libérateur.

Publié le dimanche 2 octobre 2011, par Claude Gentil.

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