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Les élites, le peuple, l’état profond, les lobbies, le grand complot

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La démission de N. Hulot a suscité des flots de commentaires plus ou moins éclairés. Le ministère de l’impossible ? Inutile d’en rajouter. Mais les commentaires, même les plus savants, ont parfois un parfum bizarre, une odeur où l’on perçoit une note de populisme et un fond de complotisme : en résumé, le peuple souhaite ardemment le triomphe de l’écologie, mais les élites, marionnettes aux mains des lobbies qui ont infiltré l’état profond ont bloqué toutes les réformes.

Des élites formatées par l’état profond ?

Chacun se fait sans peine une image des élites : énarques, bureaucrates, élus qui portent des cravates et/ou des costumes gris. Et dès que vous avez un peu de visibilité ou de responsabilité politique, vous devenez un notable.

Du coup, le député qui se présente à l’assemblée sans cravate apparaît tout de suite comme un révolté anti-système. Alors que tous les autres sont considérés comme de simples représentants de la pensée dominante, des marionnettes manipulées par les lobbies. Et pourquoi cela ? Parce qu’ils sont formatés par l’état profond !

Mais que signifie cette expression état profond ? Apparue en Turquie dans les années 90, elle désigne un groupe informel qui, à la place du pouvoir légal, détient secrètement le vrai pouvoir, qui en arrière-plan tire les ficelles. La face cachée de l’establishment, du système, le noyau dur d’une oligarchie. Oligarchie, encore un mot très à la mode ces temps-ci.

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L’état profond vu par Plonk et Replonk

Dans les années 30, on stigmatisait les 200 familles, les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France. Car dénoncer le complot des capitalistes contre la France et ses travailleurs fut le meilleur ciment du Front populaire. En 1947, Jean Cotereau écrivait Le Complot clérical, jésuites, synarchie, MRP. Aujourd’hui, les tribuns populistes dénoncent le système, la caste de la haute fonction publique, et les lobbies !

Tout récemment, dans une tribune publiée par Le Monde, un écologiste reprenait cette musique à la la mode, celle du formatage des esprits par l’Etat profond. Sans se rendre compte qu’il apportait du grain au moulin déjà bien garni des complotistes.

Le bon usage du peuple

Ainsi les choses deviennent simples, limpides : d’un côté, vous avez une oligarchie servie par des politiciens corrompus, et de l’autre, le peuple, les petits, les obscurs, les sans-grades. Rien de plus facile que prétendre en être, nous, les gens de peu, sinon les gens de rien. Alors que les élites nécessairement corrompues dévoient l’intérêt général à leur profit, le peuple, forcément homogène, aurait la science et la conscience de ce qu’est l’intérêt général. Et l’on invite ce peuple à renverser la table, à détruire le système, gangrené par les lobbies.

Lobbies, un mot à la mode

Les groupes d’intérêt s’organisent pour que les décisions publiques leur soient le plus favorables possibles. Plus ces groupes sont puissants, plus ils peuvent peser sur les décisions, et ils ont souvent les moyens de se payer des laboratoires, des bureaux d’études pour appuyer leur argumentation. On a tous en mémoire la façon dont l’industrie du tabac a payé des scientifiques pour affirmer l’innocuité du tabac. Et plus récemment, la presse a dénoncé l’influence de Monsanto sur l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire. Et plus près de nous, le ministre Travert a été accusé d’avoir cédé au lobby de la FNSEA.

Mais, personne ne considère les revendications des maires comme une action de lobbying. Et pourtant, tout n’est pas à prendre au mot dans les discours compassés de François Baroin, président des Maires de France... Comme je l’avais montré dans cet article Sur les dotations de l’Etat, la grosse caisse de la démagogie.

Et puis, presque au jour le jour, dans la gestion municipale, le maire est confronté à des groupes de pression, qui s’appuient sur des « études » commandées ad hoc. Juste un exemple : à une époque, j’entendais dire qu’il n’y avait pratiquement pas d’évasion commerciale à Questembert. Bizarrement, cette vérité apparaît évidente aujourd’hui.

Les lobbies, les groupes de pression, existent, c’est la responsabilité des élus d’arbitrer... si possible au profit de l’intérêt général. Mais c’est vrai que parfois certains se comportent en petits soldats dociles de ces groupes de pression. Et les citoyens doivent rester vigilants.

Ceux qui s’arrogent le droit de parler au nom du peuple

Les leaders politiques souvent prétendent chacun leur tour représenter le peuple, tout le peuple, oubliant que, désignés par un scrutin majoritaire, ils n’ont pas le soutien de tous les citoyens ! Il arrive même à certains d’oublier qu’une minorité quelquefois importante ne les a pas soutenus et de montrer aux vaincus l’arrogance des vainqueurs.

Mais il y a plus dangereux que ces travers communs, que les minorités savent contrecarrer. L’histoire du XXème siècle nous a donné des exemples terrifiants et pas seulement en Allemagne et en Italie. Rappelons le slogan hitlérien : Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer (un peuple, un empire, un chef.) Et on peut s’effrayer d’entendre cette musique dans les discours de quelques leaders qui prétendent porter la voix du peuple...

Dans l’interview ci-dessous, Domnique Reynié explique bien que « les populistes sont des élites qui sont à la marge d’un système et qui cherchent à en conquérir le centre. »

Et, ces temps-derniers, on a vu, proclamés ici et là, des slogans qui stigmatisent à la fois les élus et/ou les élites et les « mauvais Français » pas de la bonne couleur ou qui ne manifestaient pas l’enthousiasme attendu pour les manifestations.

Avec des appels à la subversion, comme en février 34 ou des références à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais celle de 1793, spécialement, l’article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Faut-il rappeler que c’est l’époque de la loi des suspects... et de la Terreur ?

Publié le dimanche 25 novembre 2018, par Paul Paboeuf.

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